Le tribunal judiciaire de Versailles a annulé le 30 avril dernier un divorce par consentement mutuel. L’épouse a fait valoir en effet que son avocat était absent à la signature et n’avait jamais agi que comme prête-nom pour valider la procédure. Pour Me Michèle Bauer, cela pose la question des plateformes proposant de divorcer en quelques clics. Nous publions la décision au bas de cet article.
Le nouveau divorce par consentement mutuel, divorce sans juge est né, le 18novembre 2016, j’étais de ceux qui ont désapprouvé cette naissance.
Un divorce sans juge et par acte d’avocats, c’était une première, une première risquée car ce divorce éloignait les époux du juge, garant indépendant de l’équilibre de la convention de divorce.
La doctrine a fait part des risques d’annulation de la convention de divorce puisque, comme l’a précisé la circulaire du Ministre de la Justice du 26janvier 2017, c’est un divorce conventionnel.
Des vices du consentement pourraient annuler ce divorce contractuel nous a-t-on prédit. Les juristes se sont interrogés : le dol peut-il être invoqué lorsque la convention de divorce prévoit une prestation compensatoire ? Que se passe-t-il lorsque l’époux créancier découvre que l’époux débiteur a menti sur ses éléments de patrimoine ? (Jérôme Casey AJ Famille 2018 p. 95, Le dol ou l’illusion contractualiste dans la remise en cause de la prestation compensatoire).
L’avocat, pierre angulaire de ce divorce par consentement mutuel
Tout a été imaginé, tout sauf une annulation due aux défauts de conseils des avocats. Et pour cause nous sommes la pierre angulaire de ce divorce par consentement mutuel.
En nous accordant ce divorce par consentement mutuel et même en nous le laissant (car les notaires loucheraient sur ce dernier), la loi nous a accordé une grande confiance.
Est-ce que nous l’aurions trahie?
C’est la question que l’on peut se poser, de prime abord, en lisant un jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 30avril 2024 sur lequel Le Figaro Patrimoine a titré: Une première en France, 6 ans après leur divorce par consentement, un couple se retrouve marié par décision de justice.
Quels sont les faits?
Le 17 octobre 2018, Madame K. et Monsieur M. signent une convention de divorce par acte d’avocat, sans prestation compensatoire, sans liquidation du régime matrimonial, avec des mesures relatives aux enfants, un divorce simple en somme.
Deux ans plus tard, Madame K. assigne son époux pour solliciter l’annulation du divorce et son « ancien » avocat, Me G., pour (principalement) le «voir condamner à la garantir du paiement de la prestation compensatoire, si le tribunal annulait la convention de divorce et fixait la prestation compensatoire» et subsidiairement le condamner à des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
Madame K. expose avoir signé une convention de divorce hors de la présence de son avocat, cette convention aurait été rédigée par l’avocat de son époux sans aucune relecture de son conseil qui n’a agi que comme un prête-nom pour remplir la condition des deux avocats obligatoires. Elle n’aurait jamais rencontré son avocat, ni non plus obtenu de conseils de sa part. Par ailleurs, elle maîtrise mal le français.
Son époux objecte que l’avocat de son épouse était présent en visioconférence.
Le jugement annule le divorce.
La convention de divorce est annulée car la preuve de la présence de Me G. (avocat de Madame) lors de la signature de la convention de divorce n’était pas rapportée alors qu’elle est obligatoire et nécessaire à la constatation de la réitération du consentement de la cliente.
Quelles leçons tirer de ce jugement?
Ce jugement, qui n’est peut-être pas définitif, est à mon avis à relativiser.
Comme tout jugement, c’est un cas d’espèce. Mais un cas d’espèce qui exige de la profession qu’elle alerte sur les dangers des plateformes de mise en relation avec des avocats partenaires, proposant des divorces en ligne pas chers, vantés par la presse féminine à longueur de colonnes.
En effet, si le jugement ne le dit pas, on devine que ce divorce est un divorce « en un clic ».
Monsieur a certainement pris l’initiative de le gérer (son épouse ne maîtrisant pas la langue française), il a surfé sur internet et, comme beaucoup, a été séduit par le «pack divorce» avec avocat de son épouse en cadeau Bonux.
Madame n’a jamais vu son avocat, et pour cause ! Le modèle économique de ces plateformes s’effondrerait si en plus il fallait conseiller. Madame le précise, son avocat était un prête-nom, une sorte d’avocat de paille, juste là parce que le deuxième avocat est obligatoire.
L’avocat de Monsieur a rédigé une convention de divorce, à moins que ce ne soit l’algorithme de la plateforme qui l’ait fait, sur la base des seules informations fournies par l’époux, à savoir divorce simple sans bien (« parce que la maison c’est moi qui l’aie payée avec mon salaire, Madame ne travaille pas »), avec des enfants et le fameux « on est d’accord sur tout ».
Comme Monsieur était l’avocat «des deux» et qu’un Confrère s’est prêté au jeu du prête-nom (ce qui ne lui a pas coûté très cher soit dit en passant 2000euros de dommages et intérêts), rien n’a été examiné ou si tout a été examiné, ce n’était qu’avec un seul son de cloche.
Heureusement, les annulations de divorce sont rares. Celle-ci est une première en presque 10 ans d’existence du divorce sans juge.
Peut-être que cette décision est une dernière aussi, sauf si les époux qui souhaitent divorcer persistent à croire qu’une procédure de divorce par consentement mutuel c’est si simple que l’avocat ne sert à rien et que sa prestation ne vaut pas plus de quelques centaines d’euros.
S’il est une leçon à tirer de ce jugement, c’est que le conseil et l’accompagnement des avocats sont primordiaux, même et surtout dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel.
On ne peut divorcer en un clic devant son ordinateur, le divorce ne se commande pas comme une pizza.
Décision TJ versailles 30 avril 2024 2_biffé